Sous la direction scientifique de Martin Guerpin et Manon Fabre
Du jazz aux variétés, en passant par la danse et la chanson
Interroger une mutation dans les musiques populaires (années 1920 - années 1940)
Dans les années 1930, des critiques tels qu’Hugues Panassié, Robert Goffin ou Marshall Stearns, proposent des définitions du jazz fondées sur les notions d’authenticité et d’altérité par rapport à la musique européenne : le jazz est une musique « noire ». À la même époque, l’évolution de la distinction entre « hot jazz » et « straight jazz » vers la distinction « jazz music » et « dance music » dans des revues telles que De Jazzwereld aux Pays-Bas, témoigne à la fois d’un processus d’exclusion d’une partie des répertoires du champ du jazz par certains critiques spécialisés, mais aussi d’une évolution musicale de nombreux orchestres de jazz.
Jusqu’à présent, l’historiographie des premières décennies du jazz est demeurée largement tributaire de cette approche et de ces distinctions. En conséquence, de nombreux répertoires ne relevant pas des définitions puristes du jazz, mais tout de même étiquetés « jazz » dans les décennies 1920, 1930 et 1940, ont longtemps été tenus en marge de l’historiographie du jazz, alors qu’ils constituaient la bande-son quotidienne de la majorité des Européens et des Américains. Les orchestres de Jack Hylton, Paul Whiteman, Ray Noble, Vincent Lopez, Claude Thornhill, Ray Ventura, Ambrose and his Orchestra, ou encore František Alois Tichý Ultraphon Jazz Orchestra ne sont que quelques exemples parmi bien d’autres que ce numéro spécial de la revue Epistrophy souhaiterait étudier.
Ces orchestres ont ceci d’intéressant qu’ils proposent, à partir du milieu des années 1920, un jazz caractérisé par un vaste spectre d’appropriations dans les domaines de la chanson, de l’opérette, du music-hall, du folklore ou encore de la musique classique : autant de genres qui, réciproquement, ont subi l’influence du jazz à partir du début des années 1920. Les répertoires de jazz résultant de ces appropriations se sont donc rapprochés de ce que l’on qualifiait alors de « popular music », de « musique de danse », de « chanson » ou encore, à partir de la fin des années 1930, de « variétés ». Ces orchestres incarnent donc, d’une part, une nouvelle manière d’intégrer le jazz au monde du divertissement, et constituent d’autre part un lieu d’échanges et d’appropriations multiples. Dans le cas de la France, ces échanges et appropriations ont donné naissance, à partir de la fin des années 1930, au genre musical des « variétés ». Cette catégorie ne semble pas correspondre à celle des « varieties » utilisées au même moment en Angleterre et aux États-Unis. Une approche comparée à l’échelle globale est donc nécessaire pour comprendre comment s’opèrent les distinctions génériques et musicales entre « jazz », « variétés » et « popular music » (ou pour prendre un autre exemple, entre « hot music » et « commercial music ») dans les années 1930 et jusqu’au début des années 1940.
Les orchestres cités plus haut constituent en outre un cas d’étude privilégié pour aborder l’activité des musicien.nes et chef.fes d’orchestre comme un métier autant qu’une pratique créative, comme un travail autant qu’un art. Ce métier est d’abord caractérisé par des pratiques d’interprétation ou d’arrangement qui sont longtemps restées en lisière des études sur le jazz (et sur la musique en général). Ne pas s’intéresser à ces pratiques, c’est laisser dans l’ombre une grande part des répertoires de jazz et de musique populaire, pourtant écoutés quotidiennement et massivement. D’autre part, étudier le métier de musicien de danse (jazz et/ou variétés) implique d’analyser des parcours de professionnalisation, remarquablement divers dans les années 1930 (études au conservatoire, apprentissages amateurs et tournois, formation continue à travers les rubriques pédagogiques des revues professionnelles et syndicales, spécificité des parcours des musiciennes et des appréciations sur leurs compétences, etc.). Plutôt que de se concentrer sur les vedettes du jazz et les artistes canoniques de l’historiographie de cette musique, ce numéro d’Epistrophy ambitionne de mieux comprendre les pratiques et les trajectoires professionnelles de la majorité des musicien.nes qui composent le monde du jazz de la fin des années 1920, 1930 et 1940.
Les propositions d’articles pourront porter sur les thèmes suivants :
Les propositions d’articles (résumé de 200 mots maximum et biobibliographie de 100 mots maximum) sont à envoyer à Martin Guerpin (martin.guerpin@univ-evry.fr), Manon Fabre (manon.fabreti@uvsq.fr) et Epistrophy (epistrophy@epistrophy.fr) avant le 14 avril 2025.
Calendrier éditorial prévisionnel
- 21 avril 2025 : réponse des éditeurs et du comité de lecture de la revue Epistrophy aux auteur.es ;
- 10 novembre 2025 : remise de l’article intégral (30.000 signes maximum, notes et bibliographies non comprises) ;
- 19 décembre 2025 : retour aux auteurs de l’évaluation par le comité de lecture
- 9 février 2026 : retour des articles définitifs ;
- Printemps/été 2026 : publication du numéro spécial d’Epistrophy.